Le tabou de l’intermédiaire

Il est désormais loin le temps où l’envie de manger local était l’apanage d’idéalistes chevelus rêvant de renverser l’ordre établi. Désormais sur toutes les bouches, le local est en passe de détrôner le bio dans la ferveur médiatique autour du bien manger. Mais qu’en est-il vraiment ? Quand est-ce que vous avez mangé local pour la dernière fois ?

Nous allons vous raconter la petite histoire de La Charrette, ou comment nous en sommes venues à penser qu’il faut déconstruire les croyances sur les circuits courts pour construire un avenir alimentaire plus radieux.

Le circuit court

Lorsque nous nous sommes créées en 2016, notre envie d’entreprendre dans les circuits courts était comme pour beaucoup portée par un souhait de « court circuiter » les modèles alimentaires existants. Nous avions l’image d’Épinal du circuit direct en tête : un producteur, livrant amoureusement ses carottes dans une cagette pleine de terre à la petite cantine du coin en prenant le temps de raconter au chef comment elles avaient poussé.  On trouvait cette image tellement belle qu’on en a fait notre première idée de service, en permettant aux producteurs de mutualiser leurs livraisons (à travers un site de colivraison). Producteur 1 et producteur 2 se rencontrent sur la Charrette, regroupent leurs cagettes dans un même véhicule, leurs volumes vendus en direct explosent, eux se déplacent deux fois moins et la planète est sauvée. Le plan était parfait. Sans accroc. Comme vous l’imaginez, ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça.

Déjà, des producteurs en circuits courts, il y en a très peu. Mais alors TRES peu. Là-dessus nous avons eu de la chance, en passant beaucoup de temps auprès d’eux sur le terrain nous avons regroupé une belle communauté autour de nous. Bon début. Mais ensuite nous avons réalisé que ces producteurs ne livraient pas vraiment leurs carottes. Dans l’écrasante majorité des circuits courts, les produits sont vendus à la ferme ou au marché.

Ah… Ça nous arrangeait pas ça…

Le rôle primordial de l’animateur

En 2019 nous avons donc décidé après plus de 2 ans de colivraison de repenser totalement notre approche de la logistique des circuits courts. On rabat toutes les cartes et on repart de 0. Ou presque, parce que l’on avait pour nous une large communauté de producteurs (presque 7000) et beaucoup d’expérience sur le terrain sur ce qui fonctionne ou non en matière de livraison de produits locaux. En échangeant avec notre communauté, voilà ce que l’on avait appris : les circuits courts existants sont marginaux, concernent plutôt le B to C et se font principalement à la ferme ou sur les marchés. Pour la vente aux professionnels, les producteurs attendaient de nous non seulement une solution logistique, mais surtout une solution clef en main pour aller toucher de nouveaux clients, gérer ces commandes (et les anticiper) et ensuite les faire livrer. En gros, les producteurs nous rejoignaient pour se développer en local mais ces développements passaient pour eux par des circuits plus structurés que le direct qu’ils font déjà (et continueront à faire !). Bref, structurer les circuits courts existants ultra localisés n’avait aucun sens.

 On a compris qu’on n’avait rien compris. Mais on est coriaces et on disposait de deux atouts de poids : des communautés de producteurs et de pro des circuits courts autour de nous, et une connaissance du terrain. C’est comme cela que nous nous sommes rapprochées de ceux que l’on appelle les « intermédiaires », c’est-à-dire tous les acteurs qui organisent des flux entre des producteurs locaux et des acheteurs professionnels, qu’ils fassent de l’achat revente ou non, disposent d’une plateforme physique ou non, soient des structures juridiques propres ou des regroupements de producteurs. Peu importe, pour nous désormais les choses étaient claires : il fallait œuvrer aux côtés de ceux qui organisent les commandes pour apporter une logistique à ces systèmes-là et proposer aux producteurs et aux acheteurs pro (magasins, restaurants etc.) un système clef en main de la gestion et anticipation de commande jusqu’à la livraison.

C’est ce chemin qui depuis 2019 nous a conduit à développer une grande communauté de transporteurs indépendants formés spécifiquement aux enjeux des circuits locaux. Nous les mettons en relation avec les intermédiaires qui se développent et recherchent désespérément des partenaires logisticiens fiables et adaptés à leurs besoins assez inédits pour les transporteurs plus traditionnels.

Et ça fonctionne. La logistique qui naît de ce duo intermédiaire/La Charrette a un coût maitrisé, répond aux enjeux des circuits locaux (relationnel, agilité etc.), et elle permet de développer de vrais flux locaux.

L’invention de nouveaux modèles d’intermédiaires

Nous avons donc tiré comme leçon de cette évolution de notre propre activité qu’il fallait cesser de vouloir dupliquer les modèles des circuits directs à grande échelle car ils sont souvent destinés à des acteurs très engagés et ne pourront pas devenir le modèle majoritaire. Il faut repenser notre vision des circuits locaux, sortir de l’image d’Épinal de circuits qui, s’ils satisfont beaucoup de producteurs et de consommateurs, sont souvent des circuits courts ou le temps n’est pas compté côté producteur comme côté client et qui pour cette raison ne se développeront pas de façon massive. Nous avons arrêté de parler de circuits courts pour nous tourner humblement vers des circuits « locaux et éthiques ».

L’avenir de ces circuits locaux dépend de ceux qui aujourd’hui inventent de nouveaux modèles structurés et professionnels, qui permettent aux producteurs comme aux débouchés professionnels de faire du local sans devenir des logisticiens. Le mot « intermédiaire » fait peur, il est associé à une mauvaise répartition de la valeur et à beaucoup d’opacité. Soit. Pourtant, le constat sur le terrain est sans appel : rien ne prend de l’ampleur sans un acteur qui anime la relation producteurs/acheteurs. Nous devons inventer de nouvelles formes d’intermédiaires. Les intermédiaires avec lesquelles nous travaillons partout en France travaillent localement, dans un partenariat de juste rémunération avec les producteurs tout en permettant une massification et donc des prix à l’arrivée acceptables pour les acheteurs professionnels et une logistique efficace. Ces intermédiaires sont rémunérés pour la valeur qu’ils apportent, ni plus, ni moins. Pour nous, ils ont tout compris.

Le local prend son envol et le pouvoir est de plus en plus du côté des producteurs qui ont le choix des systèmes de vente dans lesquels ils s’engagent. Il n’existe pas un modèle parfait mais des modèles, qui correspondent à autant d’envies et de façons de « faire » du local. L’important nous semble être de créer des modèles transparents, justes, et qui soient pérennes économiquement.

Si vous voulez poursuivre la conversation, n’hésitez pas à nous contacter :

contact@lacharrette.org,

 La Charrette, toujours moins de pétrole et plus d’idées : )

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