Voilà plus de trois ans que nous bûchons sur la question de la logistique des circuits courts avec La Charrette. Au démarrage, en 2017, cela n’intéressait pas grand monde. On nous répondait « ah bon y a un problème de logistique ? ». Pourtant, quand nous analysions les modèles en circuits courts qui existaient, la logistique semblait souvent être un frein, en tous cas une dépense (financière et de temps) significative, mal mesurée et non optimisée. Il nous semblait impossible de généraliser le modèle « circuit court », ce que tout le monde semble pourtant souhaiter, sans intégrer les aspects logistiques au cœur de la réflexion.
Alors, fortes de notre énergie et galvanisées par les centaines de producteurs qui nous encourageaient à trouver des solutions, nous avons passé des mois, des années, à parler logistique des circuits courts avec tous les acteurs que cela concerne : les producteurs évidemment, mais aussi leurs clients (restaurateurs, épiceries, supermarchés, grossistes, start-ups), les institutions (ministères, départements, régions, villes etc.). Tout cela pour aider notre outil, une bourse de fret pour les circuits courts (lacharrette.org), à devenir de plus en plus pertinent sur le terrain.
Voici ce que nous avons appris au cours de ces milliers de conversations :
« Le » circuit court n’existe pas
Le circuit court n’est pas un ensemble homogène. Inutile donc d’essayer d’y appliquer un procédé logistique industriel. Si celui-ci semble séduisant sur le papier, il ne résistera pas au terrain. Car ce que l’on appelle circuit court couvre une multitude de réalités. Les productions diffèrent, les volumes, les habitudes des producteurs et celles de leurs clients, les exigences de contact humain, la perception de la chaîne de valeur, la culture plus ou moins « business », la prévisibilité, la géographie, la densité démographique. Bref, impossible de définir un modèle qui convienne à tout le monde et en tout lieu. Pour réussir à proposer quelque chose de réaliste il faut donc réussir à prendre en considération les différents paramètres. « Faire de la dentelle » comme me l’a dit ce matin un partenaire. Tout en restant intelligible.
Il y a une vie (logistique) en dehors de la livraison !
La logistique ce n’est pas que la livraison. Lorsque nous nous sommes attelées à la tâche en 2017, nous faisions cette confusion. Pour nous, si nous arrivions à aider les producteurs à livrer facilement, c’était gagné ! Erreur. Vendre en circuits courts ce n’est pas seulement pouvoir livrer, c’est aussi gérer tout ce qu’il y a avant, et après, la livraison : édition des bons de livraison, factures, gestion des stocks, identification de producteurs proches, animation de la relation entre producteurs/fournisseurs et acheteurs, gestion des paiements etc. Nous avons vite réalisé cela et avons depuis déployé beaucoup d’énergie pour répondre à ces enjeux : faciliter le sourcing producteurs notamment. Aujourd’hui nous intégrons le sourcing en amont de nos outils logistiques mais heureusement d’autres entreprises sont venues structurer le reste de ce besoin en proposant de gérer les relations entre acheteurs et fournisseurs et nous travaillons avec elles sur leurs livraisons.
Il n’y a pas d’argent
Ah ! Bon, on ne vous cache pas que nous n’avions pas sélectionné le secteur en lisant un article de Forbes sur les bons coups à réaliser en 2017. En réalité cette assertion est vraie et fausse. Il y a peu d’argent aujourd’hui dans les circuits courts… car il y a très peu de circuits courts ! C’est un marché de niche qui, malgré sa place dans les médias, représente difficilement 2% de l’alimentation en France. De plus, c’est un secteur avec un rapport à l’argent pas toujours évident : les producteurs ont tendance à ne pas calculer leurs frais logistiques, ni compter leur temps, et évidemment sont frileux quant à de nouvelles dépenses, comme tout chef d’entreprise ! Mais le secteur de l’alimentaire représente des volumes énormes. Et tout le monde a les yeux braqués sur les circuits courts sans trop savoir comment faire son entrée. Les gros acteurs (grossistes, centrales etc.) se penchent sérieusement sur le sujet car la demande est là et ce sont les cantines qui pourraient bien opérer la plus grosse révolution d’ici peu pour satisfaire aux exigences de la loi Egalim.
« Terre à terre »
Terre à terre. Pardon pour ce jeu de mots facile mais il ne faut pas oublier, ce que l’industrie agroalimentaire a trop fait, que nous parlons du terroir, du territoire et donc d’ancrage local. Mettre en place une logistique des circuits courts ce ne peut pas vouloir dire parachuter des usines à gaz magnifiques sur le papier mais complètement hors sol (je ne peux pas m’empêcher…). Partout il faut d’abord observer qui est là, qui fait quoi, et travailler avec les acteurs qui pourront faire vivre les meilleures initiatives . Sans cet effort, même les bonnes idées sont vouées à péricliter et on ne compte plus les plateformes physiques qui ont été déployées, puis retirées, en ne laissant derrière elles qu’amertume et découragement.
Je ne suis pas toujours un circuit, je ne suis pas toujours très court, je suis je suis…
La notion de circuits courts est floue. Nous n’avons jamais voulu nous placer en arbitres des élégances en prônant telle ou telle agriculture ni en établissant un cahier des charges pour sélectionner nos partenaires. Pour la simple raison qu’encore une fois, les circuits courts sont trop hétérogènes pour être précisément catégorisés et mis dans des cases. Les circuits courts ne tolèrent officiellement qu’un seul intermédiaire entre le producteur et le consommateur. Alors parfois, le circuit court, c’est se faire expédier à prix d’or à Paris une courgette du sud de la France. Pas glop. L’autre critère souvent mis en avant, le « local », est tout aussi difficile à appréhender : toutes les régions ne produisent pas une diversité et une quantité de produits suffisante pour nourrir la population (par exemple il faudrait être prêt à manger beaucoup de pain à Paris). Là encore l’essor des circuits courts va sûrement rebattre les cartes et de nombreux acteurs sur les territoires travaillent aux questions d’indépendance alimentaire et d’aide à l’installation dans ce sens. Mais nous devons avancer en attendant. Sans préjugé et avec les bonnes volontés existantes.
A tous les passionnés de la révolution alimentaire qui pensent sérieusement à construire un nouveau modèle, parlons-en!
Laura (0684196813)